vendredi 6 février 2009

Je me lève


1 septembre 2006,

Le vent océanique, souffle au dehors, sur les parois du building balayé de pluie. Dans l’appartement l’orage a commencé, mon futur ex-petit ami assène ses reproches au rythme cadencé d’un cheval au galop, j’interrompe sa diatribe de temps à autre d’un hurlement offensé, de croassements indignés. Un éclair de rage passe dans la pièce. Le silence reprend brusquement ses droits, les pas de l’autre crisse sur le parquet, la porte d’entrée grince lentement, laissant parvenir la mélopée sinistre de la chaîne Hi-Fi du voisin.
Le claquement de la porte résonnait encore dans mon crâne, comme un gong étourdissant, se conjuguant avec la violence morale de la rupture qui venait d’avoir lieux. « Une histoire de cul qui finit », pensais-je douce amère, « l’histoire de ma vie », me repris je plus lugubre.
J’étais soudain seule, dans un appartement passablement dévasté, jonché de cadavre de produits de consommations : mégots, cannettes de bière, papiers d’emballage divers et incertains. Ce lieu n’était que le reflet d’une vie express, une vie jetable.
Je me lève, pour travailler, manger, dépenser, oublier.
Les jambes pendant dans le vide à travers les barreaux de mon balcons, j’allumais une cigarette dont les volutes se perdirent dans le crépuscule s’avançant. La pluie ayant fait place à une bruine infime, les bruits du centre ville en contrebas m’attirèrent.
En dessous, on hurle, on klaxonne, on s’esclaffe, on s’interpelle. La foule pressée des travailleurs a fait place à la faune des fêtards. Sur les pavés les groupes de piétons se créer, se bousculent, et se mélangent. Les pubs avalent les passants bien aiguayés et les recrachent bien avinés, soulagés de leurs billets. Les décibels endiablés des « dance floor » s’échouent sur le trottoir et viennent se perdre dans les vrombissements des moteurs.
Je connaissais tout ce que cette vie nocturne pouvait procurer de superficiel et d’éphémère, danser, boire, s’amuser, s’amouracher pour une semaine, un jour, une heure. De mon lointain observatoire, je me sentais soudain bien loin de ces préoccupations, mais une question me submergea, une question d’enfant, tellement simple : « Mais pourquoi cette vie ?». N’ayant pas encore compris qu’elle était obsolète.

*

2 octobre 2006,

L’inspecteur Miyamori écrasa l’accélérateur, faisant ronfler les chevaux de son coupé. « S’agit pas d’arriver après les pompiers », se justifia t’il auprès de son collègue. Celui-ci, étreignait anxieusement la poigné de la portière, en hululant un pathétique « freine bordel ! ». La pluie, après une accalmie reprenait de plus belle, noyant le pare-brise d’un déluge sonore et visuel. Constatant que son collègue prenait une dangereuse teinte verdâtre le conducteur, serra la bride à son bolide, et passa au trot. Qu’importe la destination était atteinte, Miyamori se tordit le coup au-dessus du volant pour distinguer les immeubles. La voiture n’avançait plus qu’au pas, puis stoppa. « Sinistre cette rue. Pour un peu, une fois vidée, on entendrait les corbeaux ricaner », dit-il.
- En attendant les pompiers sont déjà là, autant pour ton petit rodéo ! Maugréa l’autre.
- J’espère qu’ils ne vont pas nous gâcher le travail, reprit l’oriental, encore une main sur la portière ouverte du véhicule et observant une mince silhouette dangereusement penchée au dernier étage d’une des tours. Une vague impression de déjà vu le tarauda.
Les deux policiers, s’engagèrent par une porte de service qui grinça de reproche, et attaquèrent les escaliers d’un pas irrégulier, et résonnant.
- Pourquoi on se fait chier à passer par les escaliers ? Lâcha l’éternel mécontent.
- Pour éliminer ton sur poids, t’as vu tes derniers tests d’aptitudes, rétorqua Miyamori.
- Va chier Bruce Lee !
- T’as raison je ne voudrais pas encourir la colère d’un sumo.
- …
La litanie angoissante du vent dans la cage d’escaliers interrompit les deux hommes. Rendu au dernier palier, un pompier surgit à leur rencontre.
- Salut les gars, on vous laisse le bébé, pour nous c’est mort !


*

1 septembre 2006,

De là haut, j’observais l’être qui venait de quitter ma vie, il était insignifiant d’ici, il était insignifiant en tout. Sa pauvre silhouette disparut au coin de la rue. Bientôt des camions de pompiers firent leur apparition. « La cavalerie rapplique, encore un abruti qui a jeté son mégot dans une poubelle », pensais-je. Le son des sirènes résonnait dans le quartier, et les badauds vidaient la place. « Tiens c’est notre immeuble qui a gagné le pompon, la vieille bécasse du cinquième aurait passer l’arme à gauche ? ». Des bruits de course me parvinrent du couloir, et ma surprise fut totale quand ma porte éclata sous un coup de bélier. « Putain ! Ma porte ! » Criais-je, tandis qu’un pompier fonçait vers moi. Il posa deux doigts sur mon cou. « Bah vas-y te gène pas beau brin », lançais-je.
- Morte, lâcha t-il les yeux dans le vide.
Les perspectives basculèrent lentement tandis que je prenais conscience de mon décès.
Aujourd’hui, je me lève pour mourir.


*

2 octobre 2006,

Alors que son opulent collègue s’approchait du corps avachit sur le balcon, Miyamori inspecta les lieux rapidement. L’appartement luxueux était soigneusement rangé, immaculé. L’inspecteur, tripotant un bibelot de décoration, s’adressa à l’un des pompiers encore sur les lieux :
- Comment se fait-il que vous soyez toujours sur les lieux avant nous les mecs ?
Le gaillard sourit en coin pour lui répondre :
- A votre avis quand les gens ont un doute, qui préfère t-il appeler en premier, les gentils soldats du feu, ou les vilains messieurs bleus ?
- Un point pour vous, concéda Miyamori alors que son collègue s’approchait la mine soucieuse.
- Je crois que tu devrais voir le mort, dit-il.
- Quoi ?
- C’est le type qu’on cherchait.
L’incompréhension laissa la place à la surprise sur les traits de l’inspecteur. Il saisit soudain d’où lui venait l’impression de déjà vu. Un mois plutôt on avait retrouvé le cadavre d’une femme sur son balcon contusionné à la tête, exactement dans la même position, l’assassin, probablement son amant, avait pris la fuite et restait introuvable jusqu’à ce jour. L’inspecteur craignit subitement d’avoir affaire à un serial-killer. A la vue du corps ses inquiétudes disparurent.
- Dieu ! S’exclama t-il.
- Ouaip, reprit son collègue. Pas de doute ce n’est pas un meurtre, le bonhomme a été belle et bien foudroyé. Regardes un peu les mains qui tenaient la rambarde cent pour cent carbone !
Cependant un malaise envahit Miyamori quand il aperçut la brûlure à la tête du cadavre. « Exactement au même endroit », murmura t-il.


*

2 octobre 2006,

« Tu as payé ton crime ».
Je contemple une dernière fois le cadavre de mon meurtrier, aujourd’hui ma victime entourée de policier. Le balcon s’estompe doucement, les ténèbres me gagnent.
Aujourd’hui, je me lève une dernière fois.

2 commentaires:

  1. Y'a quelques coquilles qui trainent mais j'ai bien aimé cette histoire par contre, je ne m'attendais pas à la chute.

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  2. des coquilles snif toujours et encore...
    ...attendais pas a la chute en bien ou en mal ? ;)

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