dimanche 6 décembre 2009

AT 17 des Songes du crepuscules

Voici l'AT 17 des Songes !!!

Consignes : Vous écrirez une nouvelle Fantasy se déroulant au Pays des Glaces
Taille maximale : 15 000 signes, espaces comprises (tolérance de 5%)
Date limite : 28 février 2010, 23h59
Genre : Fantasy
Format : Nouvelle
Adresse où envoyer vos textes : brevesducrepuscule@free.fr

Rappels :
- Votre nom ne doit pas figurer dans votre fichier. Il est à mettre dans le mail que vous envoyez.
- Indiquez le nombre de signes en bas de votre dernière page.
- Numérotez vos pages.
- Votre nouvelle doit être inédite, jamais publiée dans un webzine, fanzine.
- Un jury, composé de membres du forum, désignera la nouvelle gagnante.
Celle-ci sera alors mise en ligne dans le prochain webzine des Songes :
Les Brèves du Crépuscule.

Plus d'informations sur le forum :
http://songes-du-crepuscule.naturalforum.net/forum.htm
Vous pouvez télécharger les précédents numéros sur le site des Songes : A la croisée des Crépuscules...
http://brevesducrepuscule.free.fr/webzine.html

jeudi 26 novembre 2009

Djeeb le Chanceur



Actuellement je papillonne de livre en livre : fantasy, SF…(Hypérion, la horde du contrevent…) Du bon donc, mais pourtant pas cette grande révélation que j’ai pu avoir avec « Les princes d’Ambres », « La rose du prophète » « Parleur ou les Chroniques d'un rêve enclavé » et j’en passe. Alors pour faire un break j’ai voulu tester un « petit » nouveau : Laurent Gidon connu aussi sous le pseudonyme de Don Lo. Car bien que je sois passé à coté de son premier roman : Aria des brumes, j’ai pu apprécier ses nouvelles et la facilité avec laquelle l’auteur transporte son lecteur dans l’imaginaire.

Pour Djeeb, un indicateur trivial, mais révélateur mon temps de lecture : une dizaine de jours (sachant que j’ai bien peu de temps libre actuellement). En effet je n’ai pas mis de temps à rentrer dans l’histoire et suivre les pas du protagoniste. Un personnage avide d’aventures et bouleversé de sentiments divers, à la fois attachant dans son humanité, sa générosité de vie et désespérant d’inconscience voir d’égoïsme.

Le livre nous jette rapidement dans les péripéties du Chanceur sans s’attarder sur les présentations et les chemins ayant guidé celui-ci jusqu'à Ambeliane, une façon de rentrer dans la psychologie du héros qui ne vit que pour le présent.

Si certains peuvent trouver le style de l’auteur grandiloquent, ou « too much », c’est pourtant à mon sens l’un des points forts du livre, car le style est personnel et même inventif. La phrase n’est pas ennuyeuse et elle coule avec grâce.

Sur le fond, sur l’histoire pas de trame ou de background stupéfiant (si ce n’est la parti souterrain d’Ambeliane) mais un héros et une ville qui se laissent découvrir comme des énigmes motrices de l’histoire.

Mes bémols : des descriptions un peu confuses sur la fin, et des situations parfois peu vraisemblables.

Au final, de nombreux paramètres influx la réussite d’un roman et Laurent Gidon en remplit de nombreux, peut être manque-t-il encore une certaine constance dans la crédibilité des réactions des personnages. Oui peut-être, mais le pari est réussi le livre laisse une trace plaisante de rêve dans la mémoire.

dimanche 22 novembre 2009

De nuit.

Point de vue d’Alice.

Un pressentiment me tire d’un sommeil déjà agité. Je tends l’oreille aux aguets : pas un bruit ne vient troubler les lieux et pour autant je ne suis pas rassurée. Dans la pièce je perçois de la méchanceté suintant jusqu'à moi. Quelqu’un ou quelque chose s’est immiscé chez moi. Mes poils se hérissent et je me blottis un peu plus dans la chaleur faussement protectrice de mon lit douillet. La présence hostile se rapproche, pas un son ne l’atteste, mais l’air est trop tendu pour se tromper. J’ai grand-peur. Paralysée je tente de pénétrer les ténèbres impuissantes alors … je les vois ! Deux yeux jaunes fendus d’ébène, luisant de leur promesse de mort. Cette fois je ne maîtrise plus ma frayeur, je crie, je hurle, ma voisine entendra peut-être.

*

Point de vue d’Anne.

Je me réveille en sursaut. Dieu ! Ce n’était qu’un rêve, quel réalisme, mes draps en sont trempés de sueur. Autour tout est calme, comme au début de mon rêve d’ailleurs. Cette pensée m’inquiète, je repense au miniscule, au ridicule verrou de l’entrée. Sans parler de l’interstice sous la porte où pourrait passer un chat. Ces vieilles baraques ! Moi qui suis toute seule dans cet appartement, je n’ai même pas encore de téléphone fixe. Où ai-je bien pu mettre mon mobile ? Je me lève et pose un pied fébrile sur la moquette, j’ai la chair de poule sous ma chemise de nuit. Il fait si noir et paradoxalement une étrange réticence m’empêche d’allumer comme si je craignais qu’un éclair de lumière ne me révèle tous ce qui pourrait bien se tapir dans l’ombre. Lentement, je colle l’oreille à la porte de ma chambre et j’écoute. Rien. Si. Un petit son aigu venant du fond du couloir : la cuisine. Cette fois j’ai la frousse. Je cherche un ustensile susceptible de me servir d’arme, et me rabats finalement sur ma lampe de chevet. Grotesque. Le souffle court je tourne la poignée de la porte et le pêne claque à réveiller un mort : autant pour la discrétion. Je saute dans le couloir étreignant ma lampe comme un couteau, mais seul le parquet grince de désapprobation. Le couinement s’est arrêté, mais un bruit métallique résonne dans la cuisine. La décharge d’adrénaline qui a accompagné ma courageuse entreprise m’enhardit follement, je cours, et me rue sur la porte de la cuisine, que j’ouvre à toute volée. Mon arme de fortune brandit au dessus de la tête, un pied en avant, j’hurle :

- Hiiiiiiiiiiiih !

« La lumière idiote ! », me fustige. Le palpitant battant à tout rompre, je panique, il y a quelqu’un dans la pièce. Je cherche l’interrupteur qui m’échappe. Il devrait pourtant être là ! Où là ? Aller quoi ! La lumière jaillit et je virevolte sur moi-même à en perdre l’équilibre. Personne. Si, à terre ! Les yeux jaunes. Un bond en arrière me projette contre l’huisserie de la porte, la douleur fuse dans mon crâne, mais c’est le soulagement qui me fait lâcher la lampe de chevet.

- George ! Pourriture !

Le boa de mon voisin me regarde de ses petits yeux cruels, la queue d’Alice, ma souris, dépassant encore de sa gueule. Celle-ci disparaît en éclair, comme si le serpent venait de se souvenir de cette preuve de son méfait.

- C’est ça ni vu ni connu.

Je m’étrangle de rage.

- Et la cage à moitié défoncée, tu vas la planquer où, salopard de meurtrier ! Il va m’entendre le voisin.

*

Point de vue de George.

Mon maître « deux pattes » me ramène manu militari de chez la voisine et me flanque dans ma tanière. Qu’est-ce qui lui prend de me traiter ainsi. Peu importe, quelle nuit ! Comment avais-je pu oublier les délices de la traque ? Glisser sur le sol lisse, en silence. Dans l’obscurité totale, se laisser guider par les odeurs et la douce chaleur du sang qui palpite. Puis sentir la proie frémir et inonder l’air de sa terreur. Enfin l’attaque et le festin moment incomparable aux plaisirs suaves.

On aura beau dire, ça améliore l’ordinaire : suffit les cadavres réchauffés aux micro-ondes, le rongeur frais quel délice. Je garde en mémoire le chemin des jouissances et faute de souris la prochaine fois, je raffole de l’odeur de la voisine. Serait-ce comestible un « deux pattes » ?

mardi 18 août 2009

Vendetta chez les Gouris




En fouillant son disque dure on fait parfois des découvertes. Ma dernière en date est de taille : 33 pages tout de même. Mmmmfff, j'entends soupirer d'ici 33 pages d'un pseudo-scribouilleur. "mouaih, et ça parle de quoi ton truc ?" Une nouvelle fantasy écrite dans l'univers du jeu de rôle (JDR) Night Prowler (de chez 2 D sans faces). "STOP ! Non mais sérieusement, une nouvelle de 33 pages sur un truc de rôleux et de la fantasy en plus comme si on en avait pas déjà plein le ...". Oui, oui et encore oui, mais pour ma défense le lecteur n'a besoin d'aucune base sur le JDR en question pour pouvoir lire cette nouvelle. Et puis c'est plein de dialogues ! Ca prend de la place les dialogues (pour ça les 33 pages). Laissez-vous tenter et si ça vous assomme dès les premières pages lâchez-vous sur les coms.
Téléchargeable ici.

Illustration tirée du livre de règles Night Prowler.

dimanche 9 août 2009

Les Songes du crepuscule AT 16 - Noir (4 oct 2009)




Le forum littéraire "Les Songes du crépuscule" lancent un nouvel appel à texte (AT 16) dont le thème est : Noir. Réveillez votre coté obscur et envoyez le lecteur dans les limbes de votre imagination. Les consignes sont ici.

mercredi 22 juillet 2009

Les particules élémentaires de Michel Houellebecq

Adulé, décrié, vilipendé : « les particules élémentaires » est un roman qui à sa sortie fit polémique. L’auteur ne prend en effet pas de pincette avec son lecteur, il dépeint la société à travers ses personnages avec cynisme et fatalisme. Violence morale, sexe omni présent décourageront vite les plus moralistes. Le récit va et vient : futur, passé, au vocabulaire tantôt cru, scientifique ou philosophique, ne facilite pas plus la lecture.

Et pourtant, si l’on fait abstraction de tout cela, ou plutôt si l’on adhère à l’alchimie des divers éléments, les questions soulevées notamment sur le rapport société/individu ne manquent pas d’intérêt. D’autre part, les deux personnages principaux, dont les réflexions semblent parfois aussi brillantes que leurs actes pathétiques, deviennent une sorte d’énigme à résoudre pour le lecteur jusqu'à la fin. Mais ce qui m’a réellement interpellé dans ce roman outre l’imagination, et le côté non consensuel, c’est qu’il s’agit au final de … science-fiction ! Certes, uniquement les toutes dernières pages et rien d’aussi original que du Jack Vance, mais bon cela fait toujours plaisir de voir surgir le genre imaginaire là où on ne l’attend pas.

vendredi 10 juillet 2009

Luxure

Merci Jéjé de m'avoir retrouvé ce vieux texte comme les vieux jeans on s'y sent bien.



Doucement engagé dans la danse
Où, nous, érige la censure
Déjà pulsant au rythme de ses hanches
S’abandonnant à la luxure

Enchaîné par le désir
Prisonnier d’un sourire
Soudain susurre suavement
De sa bouche l’envie de luxure

Vivre dans la déraison
Esclave de mes instincts
Ivre de toutes ces visions
Abandonné au déclin

Que triomphe les succubes,
Que triomphe les sirènes,
Qu’à travers nos faiblesses le sexe règne
Le fou prend la tour
Et bien loin s’éteint
Le souvenir de l’amour

samedi 4 juillet 2009

Le collectif Hydraë dévoile : Poésie cybernétique et robotique


Depuis quelques mois, je traine mes guêtres numériques sur un forum poétique. L’ambiance accueillante et le côté totalement dédié à la poésie m’ont vite conquis. Une infidélité aux Songes du Crépuscule dont je me vois aujourd’hui récompenser. En effet le collectif Hydraë a sorti récemment un nouveau numéro intitulé : Poésie cybernétique et robotique. Où je ne cache pas avoir le plaisir de m’être glissé. Vous pourrez télécharger ce numéro du codex poeticus au format pdf ou pps ici. Je peux déjà vous confier avoir été personnellement agréablement surpris par la diversité des poèmes, et la brillante présentation. J’espère que cette petite escapade futuriste vous plaira. Dernière chose n’oubliez pas de mettre le son.

vendredi 26 juin 2009

Perdido une BD signé Delestre et M'Buma



Une petite promo autant qu’une critique pour ce projet sympathique. Perdido donc, est une bd gratuite qui se laisse effeuillée sur le net ici. Pour les yeux donc mais aussi pour les oreilles avec la musique d’ambiance tres agréable de Nicolas Delestre, Benoit Encelle, Baptiste Sarat. Les premières planches sont jazzy, direction la nouvelle Orléans : Perdido street. Mais dès la troisième planche, on glisse vers le fantastique et par la suite l’enquête « policière ». Autant être honnête, sur le plan graphique, il m’a fallu un temps d’adaptation mais la semaine deux m’a finalement accrochée.

Au niveau de l’histoire, le lecteur suit les réflexions d’un flic en fin de carrière, usé et alcoolo. Cliché me direz-vous, ok, mais bon c’est bien comme ca qu’on les aime nos anti-héros. Les dialogues sont efficaces : « les filles…enchainaient les clients à un rythme …fast food…le mac Do du cul en quelque sorte », mais parfois un peu indigestes : « Je m’imagine très bien débouler et plomber tout ce qui bouge sauf lui, m’asseoir avec un bon scotch à la main et parler de l’enrayement du jouet ou non et sur le recul qui m’a fait m’y reprendre a deux fois pour sa fille… » Ouf ! C’est long.

Arrivé à la planche 20, je ne peux guère me prononcer plus avant sur le scénario. Je nourris quelques inquiétudes sur la capacité à rebondir de celui-ci, mais on m’a assuré que les auteurs en gardaient sous le pied. Donc je ne saurais trop vous recommander de vous faire votre propre avis et même de laisser vos com' aux interessés.


mise en bouche :


mercredi 17 juin 2009

Pied qui croyait prendre


L’Escarcelle, une taverne dénuée de charme, aurait dû faire l’affaire pour mon premier rendez-vous avec lui. J’avais entendu dire qu’il était respecté dans le milieu, ce qui en soi n’est pas gage de sécurité. D’ailleurs avec un nom pareil, on se demandait bien dans quels genres de magouilles pouvait tremper le larron. J’en avais entendu des surnoms stupides, mais celui-là, c’était le pompon : Chaussette. De quoi vous faire une belle jambe ! Si je puis dire.

Donc, j’attendais au comptoir, tripotant nerveusement les ficelles de mon col, une cervoise m’aurait bien occupée, mais l’aubergiste semblait coincé avec un vieux poivrot lui tenant la chique (avec le recul c’était du chiqué). Pour me distraire, j’ai gambergé sur cette histoire de surnom. Chausse-trappe, aurait pu dériver en chaussette, non, trop tarabiscoté. Dans le milieu certains utilisaient les chaussettes pour planquer la drogue ou comme fronde mais le gaillard n’était ni un revendeur de rêves, ni un bagarreur. J’allais abandonner quand une odeur fétide de vieille meule avancée m’imprégna les narines. Le bonhomme était là, me tendant une main douteuse dans laquelle il s’était probablement mouché. Ma foi, je pensais bien avoir élucidé son sobriquet.

— Chausset’ pour t’servir, lâcha-t-il en postillonnant copieusement. T’as la camelote gamin ?

Je désignais un paquet posée contre le mur, recouvert de frusques et bien ficelé.

— Ca m’a p’us l’air d’une port’ qu’un tableau ton colis. débita-t-il en m’assenant son haleine putride.

— C’est bien le but, rétorquais-je en évitant de respirer.

— Hé t’es un p‘tit futé toi, s’amusa-t-il en m’envoyant une claque derrière l’épaule. Va don’ nous dégoter une tabl’, j’nous trouve d’quoi se rincer le palais.

Le terme « rincer » convenait parfaitement à la cervoise digne d’une eau de lessive. Bien que désireux d’échapper aux effluves de mon vis-à-vis, je tentai de vérifier mon hypothèse sur le sobriquet du bonhomme.

— Ah, ça jeunot, ça remonte à loin. Du temps où j’donnais encore dans «la voltige ». Mont’ en l’air, com’ toi petit. J’avais pris le coup d’ toujours ôter mes guiboles avant un barbotage : plus discret. Mais ce jour-là, l’bourgeois que je venais délester était un vicelard. Vla t’y pas qui l’avait fricoté une plaque de glu juste devant son coffre fort. De nuit j’ai vu qu’du feu. J’sentais bin q’ca m’collait la patte, mais j’ai pensé qu’l’ménage laissait à désirer. Mais plus ça allait plus ça collait ! Et j’ai fini par comprendre. J’sais pas si c’était une glu de sorcier, mais bougre nom ! ça collait bien. Et pour m’carapater, j’ai dû laisser mes chaussettes.

— Ridicule comme piège, répondis-je. Si vous aviez eu des chaussures, vous filiez tout pareil.

— C’est là qu’tu trompes le môme. La combine c’tait pas de coincer le tire-laine, mais d’ garder ses bottes. Car figure-toi qu’dans c’te bourgade, y’a que sept cordonniers en tout et pour tout. Et y’sont tous à même de reconnaître leur boulot. T’penses bin qu’ l’ client revient régulièrement. Comprends ‘ty l’astuce ? Si t’as les galoches, t’as le bonhomme. Sauf que pour les chaussettes ! c’est une aut’ paire de manches, gloussa-t-il. Allez ! à une prochaine, lança-t-il en s’en allant le tableau sous le bras.

Quant à moi ma bourse ayant retrouvé un poids raisonnable, je me dirigeais vers l’aubergiste. Et commençait à lui conter l’histoire de Chaussette. Sur quoi, celui-ci parti d’un grand éclat de rire.

— Te fatigue pas, je la connais la ritournelle à Chaussette. T’aurais bien dû me demander avant gamin, maintenant c’est trop tard.

— Comment ça ? questionnai-je inquiet.

— Si on l’appelle Chaussette ce vieux briscard c’est parce qu’il n’a pas son pareil pour repérer les pieds tendres. Il te les réchauffe et les fait marcher. Allez, explique moi, c’était quoi votre marché ? minauda le tavernier en se penchant pour la confidence.

Loin d’être un habitué de l’Escarcelle, je rechignai à m’épandre sur mes affaires. Pourtant, j’étais ferré et je finis par parler du tableau volé et en donner une description, dont le nom du peintre. A la fin l’aubergiste s’exclama :

— T’aurais pu en tirer trois fois ça mon gars !


* * *


— Et voilà comment je me suis fait rouler par Chaussette.

— J’imagine que si t’es là à moisir avec moi, c’est que t’as essayé de retrouver la Chaussette et de lui arranger le portrait, supputa mon compagnon de cellule.

— J’en ai pas eu l’occasion. J’ai appris un peu trop tard qu’on surnommait l’aubergiste la Balance. Mais je me doute bien que Chaussette devait le savoir. Il doit être loin à l’heure qu’il est. Tu vois il avait bien tricoter son coup.

— T’as pourtant l’air de pas avoir le moral dans les chaussettes, railla mon collègue.

— Eh bien j’imagine la tête de ce vieux roublard quand il essayera de revendre le tableau. Et ça me console.

Devant l’air interrogateur de l’autre, je continuai :

— Mon surnom, moi, c’est l’Artiste.

samedi 6 juin 2009

AT15 - Humour !



Le forum "Les Songes du crépuscule" dévoile la 15ème AT sous le signe de l'humour.
J'ai gribouillé une petite BD pour l'occasion. Mes talents graphiques étant ce qu'ils sont (comprenez pauvres), il s'agissait juste d'une mise en condition. Voici :


Pour participer c'est ici .
Tous à vos plume et révelez le Pratchett, le Brown, le Wright qui sommeil en vous !
;)

dimanche 31 mai 2009

Webzine numero 3 pour les Songes!

Un peu de retard sur l’info. Mais, est-il jamais trop tard pour faire de la pub à un Zine qui le mérite bien.


Au programme :

- Step by step : un article de Moon
- Au loin : un poème d’Azarian
- Reflet : une nouvelle de Sylvain Richard
- A propos de Reflet : un article de Sylvain Richard
- La guérison : un poème de Jayani
- Destins parallèles : une nouvelle de Jormugaund
- D’une réflexion sur les apparences trompeuses : un article de Jayani
- Mutisme et surdité : un poème de Kolaru
- Apocalypse : un article de Jayani
- Killing season : une nouvelle de Napalm Dave
- Le PANPP, EPPM : un article de Don Lo
- Briser : Un poème d’Azarian
- Le chant des Erinyes : une nouvelle de Hors Zone
- Le chasseur : un article de Aytan
- Déclaration : un poème de Jayani


Bonne lecture !



mercredi 20 mai 2009

Dessine-moi un Y*


Ta peau pale et satinée se reflète sur le fil du rasoir
Ta bouche ouverte figée dans un cri de désespoir
La lame s’enfonce et tranche les chairs
Et coule ton sang noir sur ta peau claire

La pièce froide comme la mort
Ne sera pas d’un grand confort
Tandis que toi paralysée
Je violente ton intimité

Sous tes yeux ronds éberlués
J’ai pris le temps de besogné
Tressautements et gargouillis
N’ont eut raison mon appétit

Nue sur ma table, tu vas parler
Et révéler tous tes secrets
Car tout cadavre que tu es
Ni le premier, ni le dernier
Qu’on m’ait donné à disséquer



* : l'incision en Y : celle-ci consiste en une incision
qui comme son nom l'indique, part de deux branches espacées sur le
torse pour finir en une seule à l'approche du pubis.

lundi 4 mai 2009

Chagrin d’école de Daniel Pennac


J’essaye de m’imaginer devant l’auteur à une séance d’autographe. J’arriverais probablement sans un mot en tête et lâcherais une platitude : « J’ai beaucoup aimé votre roman ». Je décrocherais peut-être un sourire, il prendrait l’initiative de la conversation avec deux, trois questions. Je repartirais avec une signature ornée d’un des petits dessins qu’il affectionne, avec le sentiment d’avoir manqué l’occasion de dévoiler toute mon admiration.

Et pourtant, je n’avais jamais lu Pennac avant. Je n’ai même pas acheté « Chagrin d’école », chipé sur la table de chevet de celle qui partage ma vie. Le dos de la couverture a attiré mon œil : « Tiens un bulletin de notes », « des notes désastreuses qui plus est ». Quel humour, quelle humilité !

Alors cet auteur brillant ce serait, tout comme moi, un ancien « Qu’est-ce qu’on va faire de toi ? ». Et oui, et à la lecture même pire que moi, un vrai cancre ! Quel espoir !

Je me laisse emporter par l’analyse de l’auteur de notre système éducatif, de nos médias, de notre société. L’argumentation résonne avec la justesse de la sagesse. Enfin ! Enfin de l’optimisme, du réalisme sans baisser les bras. Ce sentiment de bienveillance : « son Oncle Jule » nous dit Pennac. On sort du très actuel « travailler plus pour gagner plus » (consommer plus) pour entrer dans le « tout le monde peut et doit avoir accès à la culture » (le futur, l’espoir d’une nation). De la dimension matérielle vers la "spirituelle", intellectuelle c'est selon.

Vous l’aurez compris j’ai été conquis par cet auteur et sa double personnalité cancre et professeur. On partage les inquiétudes du cancre, on apprécie les solutions du professeur ou plutôt des professeurs ceux qui ont participé à faire de l’auteur ce qu’il est, et ceux qu’il a croisés dans sa carrière poussant son admiration.

Il a même presque convaincu mon cancre d’aller vaincre ma vieille ennemie Orthographe, qui mène pour l’instant bien plus d’une vingtaine d’années à zéro.

vendredi 6 février 2009

Mémoires : Traversée cynégétique


10 Novembre 1991

Alors que les derniers reliefs du rivage disparaissaient peu à peu dans la brume, je prenais l’air marin en poupe d’un Ferry ventru glissant paisiblement sur les eaux noires du crépuscule. Le voyage vers les côtes britanniques durerait huit longues heures que je prévoyais consacrer entièrement à mon passe-temps favori : la chasse. Le col relevé de mon manteau occultant mon voyeurisme, j’inspectai les alentours. Je n’avais pas l’apanage de la curiosité. Un gosse me regardait sous le nez de ses deux grandes billes avides. Je tirai une cigarette et l’allumai dans le creux de mes mains. Mon profil de rapace sous l’éclairage de la flamme ne dut guère plaire au petit fouineur, car il disparut dans les pattes de ses parents accotés à la rambarde. Tous deux se penchèrent et lui adressèrent un sourire niais. Sans surprise ils débordaient d’une admiration banale pour leurs créations le tout enrobé d’amour. Tout comme une barre chocolatée, je pouvais m’en procurer un peu partout et cela ne comblerait pas mon appétit. Rabaissant mon feutre jusqu'à dissimuler mes yeux je continuai mon inspection. Non loin, un couple de retraités, lancés dans une querelle de chiffonniers, attirèrent mon attention :
« …de ta faute. Tu m’aurais écouté, une fois encore ! Tu aurais réservé une cabine comme je te l’avais demandé. Mais non, bien sûr ! Habituellement les bateaux regorgent de place. Sauf qu’aujourd’hui il regorge de monde ! Assena la matrone crescendo.
- Ecoute Renée, je ne pouvais pas prévoir à la fois une grève surprise des aéroports et ensuite qu’autant de personnes se rabattraient sur le ferry.
- Non en effet il te suffisait de faire ce que je te disais. Beaucoup trop… »
J’étais déçu ce n’était pas l’éclat que j’attendais. Il s’agissait juste d’une querelle chronique, une pièce de théâtre répétée pendant des décennies. Elle et sa colère molle et lui et sa culpabilité feinte étaient impropres à satisfaire mes instincts.
La chasse commençait bien mal. Avec regret je songeai à mon avion parisien paralysé au sol par cette grève inopinée. Huit heures de Ferry ne vaudraient jamais les quelques secondes d’un décollage ou d’un atterrissage ! Une dernière bouffée et les cendres de ma cigarette rejoignaient le filtre. Par dépit mon attention se rabattit sur une jeune fille esseulée. Pessimiste, j’imaginais déjà une célibataire légèrement déprimée ou une amoureuse moyennement transie. Mais ce que je découvris réveilla soudain mon intérêt et mes espoirs.


*


Les questions ontologiques : Quel sera le bilan de ma vie ? Quel rêve poursuis-je ? Quelle est ma place dans ce bas monde ? Je n’en ai cure. Je suis vide, certes. Comme une corde silencieuse quand on la pince, ou un parfum sans senteur. Qu’importe le bétail humain attend d’être trait au dehors. Il suffit de masser leur pis cérébral pour en extraire de chaudes émotions qui viennent combler mon manque. Mais avec le temps je suis devenu un gourmet, je ne me contente plus d’une piquette. La banalité m’ennuie, et l’ennui tue. Alors, armé de patience, je traque les proies idéales celles qui recèlent des joyaux : rubis de colère, andalousite de désespoir, saphir de bonheur. Lorsque ces émotions sont à leurs paroxysmes. Ô quelle jouissance. Le plaisir d’un joaillier devant une pierre parfaite. Ce sont mes trophées immatériels que je subtilise, étiquette, classe puis range soigneusement dans un coin de mon esprit.
Je n’ai jamais vraiment essayé de comprendre l’origine de mon don, mais je sais l’exploiter sans vergogne. Vous imaginerez sans peine l’intérêt de connaître l’état psychologique de votre interlocuteur qu’il s’agisse de votre petit(e) ami(e), de votre collègue… de votre patron. Vous savez quand intervenir, caresser les points sensibles et mieux encore si votre but est atteint. Ce qui en ce 10 novembre 1991 faisait de moi un psychologue riche, avec beaucoup de temps libre et entièrement dévoué à sa passion.


*


La météo britannique me rouillait déjà les méninges. Comment aurais-je pu autrement passer à côté de cette fille sans sentir ce qui irradiait d’elle ? Une onde pulsatile élançant comme une rage de dents, une perle noire : la peur. Une de mes émotions préférées. Ici, elle était viscérale, primale, d’une pureté inestimable.
Celle qui je n’en doutais plus serait ma proie fumait nerveusement à quelques pas de moi comme une gazelle aux aguets. Je me lançai dans une analyse rapide : pas d’alliance, pas de bagages ni sac à main, des vêtements sobres mais soignés et de qualité. Elle n’était donc pas mariée, possédait certainement une cabine dans laquelle elle finirait par échouer après un dîner rapide et équilibré. Elle tira nerveusement une seconde cigarette de son paquet et je sautai sur l’occasion pour un premier contact :
« Laissez-moi vous aider », lançai-je en m’approchant derrière elle.
Surprise, elle bondit sur le côté. Pour excuse, je désignais du regard mon briquet et me fendais du sourire apaisant que je réservais habituellement à mes patients.
Elle me dévisagea mal à l’aise quelques instants puis jeta des coups d’œil inquiets aux alentours. Elle finit par bafouiller rapidement :
« Je comptais rentrer de toute façon. »
Une bouffée de chaleur me parvint lorsqu’elle tira nerveusement la porte coulissante. Elle s’enfuit à grande enjambée. Manifestement, je n’étais pas son type d’homme, à moins que la peur qu’elle nourrissait alimente déjà une paranoïa aiguë. Ce qui ne faisait qu’attiser ma convoitise. A mon tour, je me ruai à l’intérieur du bateau.


*


Le langage est totalement inadapté pour parler du cerveau, car il implique de découper et de définir en partie ce que je perçois en réalité comme un tout. Souvenirs, émotions, sensations tout cela s’entremêle et s’imbrique. La comparaison la plus pertinente bien que simpliste, me parait être celle de l’œil discernant le spectre des couleurs qui se fondent et s’engendrent. Mon don est semblable et s’applique uniquement aux émotions. Le reste : pensées, ressenti, mémoire m’apparaissent comme des impuretés dont la signification m’est refusée.
L’extraction des émotions est une phase difficile, tenant de l’acte chirurgical. La clef étant bien sûr d’opérer sans attirer l’attention. Il me faut alors toute la dextérité d’un pickpocket pour subtiliser mon trophée. La connexion effectuée avec ma cible pouvant se retourner contre moi. A mes débuts, je dus braver ce type d’incidents. Dans le meilleur des cas, ma proie révélait une soudaine antipathie à mon égard et cherchait la confrontation. Cependant, la situation pouvait totalement dégénérer lorsque comme une rivière qui découvre un nouveau lit, le flot mental de la cible se détournait soudain et inondant mon esprit provoquait crise d’épilepsie ou syncope. Des années de pratique, et un rituel de chasse avaient eu raison de ce genre de dérapages, mais le risque couvait toujours.



*


Progressant rapidement dans les couloirs étroits, je percevais du coin de l’œil mon reflet dans les carreaux luisants. Au-delà, les ténèbres drapaient dorénavant une mer dont l’agitation ne me parvenait que par le bruit des vagues et le roulis du navire. Une ambiance sereine envahissait doucement les alentours. Les passagers semblaient s’être tacitement entendus pour préserver la quiétude nocturne. J’en croisais quelques-uns parlant à voix basse et avançant à pas mesurés. J’approchai bientôt du centre de l’embarcation. Des magasins détaxés occupaient l’endroit. La lumière tamisée de leurs vitrines éclaira brièvement ma proie qui disparut dans un détour. Voulant accélérer l’allure je percutai une adolescente joufflue les bras remplis de confiseries.
« Hé ! Regardez où vous allez », grommela-t-elle.
S’accroupissant pour ramasser ses friandises, elle me bloqua le passage. Je l’aurais volontiers enjambé si elle n’avait pris tant de place. Je me déhanchais donc pour tenter d’apercevoir les escaliers menant à l’étage inférieur.
« Vous poursuivez quelqu’un ou quoi ? Se rappela-t-elle à moi. Je l’avoue, cette godiche faisait preuve d’une clairvoyance bien embarrassante. Elle s’était relevée et me lorgnait comme un morceau de viande avariée.
- Je cherche le restaurant à l’avant, dis-je en tentant d’ôter toutes traces d’agacement dans ma voix.
- Bah c’est pas dur pourtant, vous allez… »
Ni tenant plus, je lui passai devant sans autre forme de cérémonie et me délectai même d’un hoquet de surprise offusqué ayant réussi à remonter sa gorge grassouillette. La traque de ma proie reprenait et pariant sur la cafétéria je m’y rendis directement. Je me félicitai de mon discernement en l’apercevant commandant un plateau-repas.


*


Avant cette traversée, je ne m’étais jamais véritablement intéressé au devenir de mes proies après les avoir dépouillées de leurs émotions. L’introspection à cette époque n’était pas mon fort. Le chat s’intéresse-t-il encore à la souris une fois qu’il a fini de jouer avec elle ? Toutefois, au hasard d’une rubrique nécrologique ou faits-divers, je reconnaissais parfois mes victimes, à qui j’avais volé : amour, joie, peur, confiance…Et que sais-je d’autre encore ? Semblant profondément affectées par mes spoliations, elles se lançaient dans des actes désespérés : dépression, suicide, violences, meurtres… N’affectant pas le cours de ma vie cela ne méritait pas de s’y attarder.
La conclusion de ce voyage m’a amené à revoir mon jugement et d’étudier de plus près ce qui régule l’équilibre psychique chez mes semblables. L’histoire est pleine d’expériences intéressantes comme celle de l'empereur Frédéric II de Hohenstaufen qui fit enlever à leur mère des nourrissons pour les élever dans le silence absolu afin de découvrir la langue originelle. Sur ce dernier point l’expérience s’est relevée stérile : les enfants étant morts avant d’avoir prononcé un seul mot et d’arriver à l’âge de huit ans. Mais sur le plan émotionnel elle est intéressante, si l’on considère le langage comme un vecteur de l’affectif.
Moi qui ne ressens rien, j’ai besoin d’assouvir mon vide pour perdurer. Ma chasse relève donc de l’instinct de survie.


*


Je m’attablai de manière à rester hors de vue de la jeune femme, et passai directement à la mise en joue. Un observateur éventuel pouvait me voir la dévisager de manière plus que déplacée, je le savais, et j’escomptais abréger mon opération au plus vite. En temps normal, le point culminant de ma chasse est l’ablation de l’émotion de ma proie, un peu comme décapiter un cerf. A mon grand regret, je fus privé de ce plaisir. Fasciné par sa beauté, je m’approchai précautionneusement de la perle noire enfouie dans la tête de cette jeune femme. Je l’enserrai doucement jusqu'à ce qu’une pensée étrangère vienne s’immiscer et me distraire. Je stoppai net. On m’observait. Pas visuellement mais à travers mon don. Cette impression inédite me fit oublier ma cible. C’était aussi désagréable que de découvrir les empreintes d’un autre chasseur sur ma piste. Je détournai ma concentration vers cette présence inconnue. Mais celle-ci me flanqua la porte de sa conscience à la figure. Elle : c’était une femme, tout ce dont j’avais eu le temps d’entrapercevoir. La réalité physique me rattrapa soudain.
« Vous m’avez suivi ! »
L’exclamation aurait pu passer inaperçue si elle n’avait été accompagnée d’un claquement tonitruant du plat de la main sur la table devant moi. J’avais oublié ma proie, et payais le prix de ma négligence. J’aurais difficilement pu mieux faire pour exacerber sa paranoïa. Pendant que mon esprit furetait à droite à gauche mon corps laissé à l’abandon faisait fi des règles sociales officieuses : révélant une bouche béante, des yeux luisants de convoitise. Je regrettais qu’ils ne soient pas révulsés, au moins, j’aurais pu plaider la maladie.
« Qu’est-ce que vous me voulez ? Vous êtes une espèce de pervers, c’est ça ? Ne vous approchez plus de moi, c’est compris ? »
La jeune fille effectua un demi-tour militaire et s’enfuit. Je ne m’étais pas retrouvé dans une situation aussi inconfortable depuis mon adolescence et mes balbutiements pour dominer mon don. Cette fois la partie était finie. Avec cette petite altercation, j’étais le centre d’attention de tout le réfectoire. Je maitrisai pourtant ma hargne, et obéis. Je restai planté sur mon siège afin que les voyeurs m’entourant témoignent de ma bonne foi. Ou plutôt, c’était mon plan avant qu’un clin d’œil fugace me fasse changer d’opinion. Imaginez-vous, une vieille femme petite et desséchée, ses pommettes hautes tirant les commissures de ses lèvres filiformes et lui barrant le visage d’un sourire persistant. De lourds cernes venaient souligner des yeux verts et étroits perçants de malice. Ses habits conformistes semblaient destinés à se fondre dans la foule. Mais plus que tout, d’elle n’émanait aucune émotion. J’eus instantanément la certitude qu’elle était la cause du revers que je venais d’essuyer. Mais déjà, elle s’en allait. La tentation était trop grande. Je la suivais. Même si, au vu de tous j’allais passer pour un pervers cherchant à rejoindre la jeune fille. Au diable les qu'en dira-t-on !
Le pas alerte malgré sa canne, la veille défraîchie dévalait les escaliers et enfilait les couloirs avec une rapidité peu commune chez une personne de son âge. Pour ne pas la perdre, je dus forcer l’allure. J’arrivais finalement juste à temps pour la voir disparaître derrière la porte d’une cabine. La coursive insipide fut le théâtre de mon indécision. Il me fallait des réponses. Depuis toujours j’étais le borgne au royaume des aveugles, mais elle, c’était une voyante ! Sans frapper, j’entrais… dans une grotte.
Pris au dépourvu, je fis un tour sur moi-même, me révélant l’incohérence de la situation. Je venais de passer une porte, mais je ne la discernais nulle part, et bien qu’aucune ouverture ne soit visible une lumière diffuse éclairait l’endroit. Ma montre indiquait 23h00, 10 novembre. Tout cela n’était donc qu’imagination pourtant ces lieux ne m’évoquaient aucun souvenir. Ici les parois semblaient vomir des coulées blanchâtres, là des circonvolutions aux reflets bruns et verdâtres suintaient d’humidités, me donnant l’étrange impression d’être tombé dans l’estomac d’un monstre démesuré. Des profondeurs rocheuses me parvenaient les gazouillis légers de l’eau s’écoulant le long de rigoles ou bien tintait d’un doux clapotis en s’égouttant dans de vastes flaques. Soudain je crus comprendre à qui attribuer ce méchant tour : le fossile à la canne. Je ricanais ostensiblement et l’écho amplifia mes railleries.
« Quel symbolisme est-ce donc là ? De la psychologie jungienne, de la philosophie platonicienne, ou bien du fanatisme religieux ? » Hurlais-je à la cantonade.
Aucune réponse ne me parvint si ce n’est les rebonds de ma voix sur la pierre. Toutefois, je ressentis une légère pression comme si l’on voulait écarter mon intervention, comme une mouche qui dérange. Ainsi, cette vieille carne avait le pouvoir de contrôler mon esprit. Depuis combien de temps me surveillait-elle ? A la lumière de ces nouveaux faits, je repassais les événements de ces dernières heures. La jeune femme n’avait été qu’un appât pour m’attirer ici, mais pourquoi ?
« Pour que tu la violes, tais-toi maintenant ! » Cette pensée me frappa comme une gifle, elle n’était pas de moi. Loin de temporiser mon raisonnement, cette incursion l’accéléra. Combien de témoins m’avaient vu de près ou de loin avec cette fille ? Quels sont ceux qui pourraient attester un comportement pervers ? Et après, je n’avais violé personne ! Cinglante de mépris, une nouvelle intervention teintée d’irritation me parvint : « C’est une question de temps ».
Je comprenais soudain, ayant capturé mon esprit, elle contrôlait mon corps ! Avec le recul, l’électrochoc ce jour-là, fut la surprise et non la peur. La surprise vous met à nu ou plus exactement vous trouve à nu. Elle brise les automatismes, nous ramène à des instincts purement primitifs de survie immédiate. Je ressentis réellement la surprise comme une émotion. Mes barrages psychiques explosèrent, et je me déversai tout entier vers ma geôlière dans un abandon suicidaire. Je partageais un instant son âme. Elle me traquait depuis des mois à travers les proies que je laissais traumatisées derrière moi. Consciente que la nature inexplicable de mon don ne pouvait être présentée devant une cour de justice, elle avait trouvé un palliatif par ce viol. Pourtant, je compris que derrière cette façade de redresseur de torts se cachait un réel dégoût de ma personne. La façon dont j’avais exploité mes capacités la révoltait. Mon absence d’humanité était une anomalie de la nature qu’il lui fallait purger. Mais plus que tout elle craignait que je puisse accroitre mes facultés mentales et représenter un danger même pour elle. Je tourbillonnais en elle fasciné par ses pouvoirs, comme un insecte fonçant sur la flamme. Pourtant, le bruit des embruns contre le hublot de la cabine m’atteignit soudainement et je m’y raccrochais éperdument. La colère de la vieille femme s’abattit sur moi comme un oiseau de proie.
« Reste où tu es mécréant. »
Des serres fouillèrent dans mon cerveau pour tenter d’arracher quelque chose. Puis tout disparut subitement dans un nuage de volutes noires, qui se dispersant me livrèrent la réalité de ma situation. J’étais dévêtu, surplombant la jeune fille, nue elle aussi, que j’avais poursuivie plus tôt. Coralie indiquait un médaillon. Bâillonnée et attachée, elle se tortillait sous moi. Ses yeux terrifiés roulaient dans leurs orbites comme deux billes infernales. Je me redressais brusquement. On tempêtait et tambourinait :
« …allez débloquer cette porte immédiatement ou nous allons l’enfoncer ! »
Des coups d’épaule vinrent étayer l’allocution, faisant trembler le chambranle. Une canne que je ne connaissais que trop bien bloquait la poignée. Un piège retors finissait de se refermer sur moi. Des témoins étaient susceptibles de retracer chaque étape de mon voyage : le petit garçon, l’adolescente, une bonne trentaine de personnes dans la cafétéria, ma victime. Les dents sur le point de me broyer étaient celles d’un viol avec préméditation. Il me restait une poignée de secondes. Je les utilisai pour voler la peur de cette jeune femme. Instantanément l’expression d’effroi sur son visage vira à la fureur. Comme un effet secondaire au vol de ses peurs, la colère l’envahit. Je la libérai de ses liens.
Les événements qui suivirent déferlèrent sur moi sans que j’aie prise sur eux. Coralie se jeta sur moi toutes griffes dehors. Au même moment dans un fracas retentissant, des membres d’équipages firent irruption. Ce fut la jeune femme qu’ils durent maîtriser en premier. Toutefois, des menottes rejoignirent peu après mes poignets. Coralie continuait de m’injurier copieusement alors que l’on couvrait sa nudité. Un tranquillisant fut finalement nécessaire pour la calmer. Quant à moi je ne pipais mot même lorsqu’on m’interrogea. On finit par nous conduire à l’infirmerie. Une chose m’échappait : aucune trace de cette vieille garce. La lumière se fit lorsque je découvris à l’infirmerie un médecin penché sur l’instigatrice de ma disgrâce. Il baissa les bras c’était fini. Il penchait pour un accident vasculaire. En étais-je la cause ? Ou le stress avait-il précipité sa perte ? Qu’importe, un large sourire renaquit sur mes lèvres.



*


Des mois ont passé, mon jugement a finalement été prononcé au tribunal correctionnel où je fus condamné pour agression sexuelle. J’ai échappé à la cour d’assise, le chef d’accusation ne pouvant être un viol sans « pénétration ». Bénéficiant d’un sursis, à la sortie du tribunal j’étais libre.
Je dois remercier cette vieille mégère. Que dit le proverbe : « Un homme averti en vaut deux » ? Sa mesquine tentative pour me dépouiller de mon don et m’enfermer pour le restant de mes jours m’a ouvert les yeux sur de nouvelles possibilités. Bien qu’elle ait emporté dans la tombe ses secrets, j’ai de nombreuses années devant moi pour expérimenter et un stock de gibiers inépuisable. La chasse est ouverte.

Conte du soir montagnard


En s’aventurant dans les contrées reculées du vaste royaume d’Och, bien loin des plaines fertiles centrales, par-delà les plateaux pourpres et la vallée du Selan, l’aventurier audacieux peut découvrir l’imposante chaîne des Montagnes Sombres. En ces lieux inhospitaliers survit une petite tribu d’humains. Robustes, ils cohabitent avec les harpies acariâtres, les nains bougons, les farouches griffons, les ours ombrageux, et les loups affamés. Toutefois, bien que la vie soit rude pour cette petite peuplade, la nourriture est abondante pour les hardis chasseurs et les pêcheurs rusés.

Le soir, après de laborieuses journées de travail, ces hommes et ces femmes se retirent dans leurs étranges habitations mi-troglodytes, mi-cabanes, dont les entrées en bois à flanc de montagne défient le vide, reliées entre elles et au sol par un insolite réseau d’échelles de cordes et de passerelles suspendues. Après le souper, les familles passent un moment autour du feu. Alors, un spectacle étrange s’offre à l’observateur : des colonnes de vapeurs blanches s’échappent des conduits perforant la roche, glissent sur la pierre et serpentent entre les demeures.

Dans l’une d’elles, cette nuit-là, un petit montagnard, Helm, frôlant les huit révolutions, refusait d’aller dormir.

— Encore un peu ! Suppliait-il.

— Allons, tu l’as assez regardée pour ce soir Helm, répliqua Elda, sa maman. La ronde des griffons sur le pic de Forgule recommencera demain soir ! Il est l’heure, la chouette l’a dit.

—…

— Helm ? Menaça Elda.

— Papa ? Sollicita l’enfant se tournant vers le dénommé : Herald.

Un bref regard de la jolie femme menue indiqua « hors de question que tu cèdes ! », et le grand barbue, un sourire contrit aux lèvres, recroquevilla légèrement les épaules en signe de : « Coupons la poire en deux ! ». Enlaçant sa femme par la taille, il fourra l’une de ses grosses mains cornées dans la chevelure hirsute de son fils :

— Viens au lit, mon garçon et je vais te conter une histoire.

Les grands yeux noisette de l’enfant pétillèrent d’impatience, tandis que la maman fléchissait légèrement la tête. Le message à son mari était clair : « Je te préviens : je dormirais quand tu iras te coucher ! ». Il fit une grimace et elle sourit de toutes ses dents en le laissant avec l’enfant.

Helm s’empressa de rejoindre sa paillasse, d’ôter sa peau de mouton et ses chausses et se glissa sous les couvertures.

— Alors, quelle histoire aimerais-tu entendre ? Interrogea Herald tout en sortant sa pipe et s’enfonçant dans un fauteuil.

— Une histoire de draagôn ! S’excita l’enfant.

— Ah ! Mais j’imagine que tu ne veux pas d’une de ces fables ridicules pour Occidentaux où l’un de leur petit chevalier replet se rend, seul, avec une épée magique, dans l’antre d’un dragon, et terrasse la bête d’un seul coup aussi glorieux qu’improbable.

— Nan ! Je veux une vraie histoire. Pas une histoire pour les petits bras de l’ouest !

Le rire de basse de son père résonna dans la chambre.

— Bien, j’ai une histoire que m’a contée ton grand-père quand j’avais ton âge. Et sais-tu où elle se déroule ?

— En Elfie ! … non : dans la jungle Orc ! … les steppes gobelines ?

— Non mon grand, ici même.

— Ouah.

Le chasseur alluma son tabac et tira quelques bouffées, parfumant la pièce d’une odeur de foin.

— L’histoire que je vais te conter se déroule il y a bien longtemps. A cette époque, la contrée était encore plus dangereuse qu’aujourd’hui, c’était avant l’arrivée des nains. Car, quoi qu’en disent ces chafouins personnages…

— Papa, papa, l’histoire.

— Hum, oui. En ces temps, des Trolls erraient dans les montagnes ; les harpies foisonnaient dans la forêt. Mais une menace bien plus grande planait dans le ciel.

— Un draagôn !

— Oui petit. Un grand dragon des glaces aux écailles reluisant de reflets argentés, aux ailes plus grandes que notre maison. L’écho terrible de son cri résonnait dans tous les monts alentour déclenchant des avalanches, son souffle déchaînait des tempêtes, et son ombre terrorisait les plus vaillants. On l’appelait Forgule.

— Comme le pic montagneux ?

— Eh oui !

— Vivait-il là-bas ?

— Non. En réalité, Forgule s’était installé sur le mont Hule.

— Mais il n’y a pas de mont Hule ici papa.

Le montagnard se fendit d’un grand sourire sous sa barbe.

— Mais si ! On l’appelle maintenant le mont Carré, car lorsque Forgule en fit son repaire, il en rogna le sommet d’un coup de queue !

— La force !

— N’est-ce pas. Mais ceci n’avait rien de drôle pour notre peuple, car le dragon nourrissait une faim insatiable. Il engloutissait tout ce qui passait sous son énorme gueule. Parfois même, comme l’incarnation de la mort elle-même, il déferlait au village, démolissant nos demeures, et dévorait des familles entières.

Un frisson parcourut l’échine de Helm. Seuls ses yeux dépassaient de la couverture.

— Ça ne pouvait plus durer. Alors, l’un de nos plus grands chasseurs, Arhm « le brave », décida de se rendre au nid du dragon.

— Il n’avait pas peur de se faire manger ?

— Bien sûr, mais Arhm était malin : il attendit que Forgule soit repu et somnole pour se présenter à lui.

— Pour le tuer ?

— Seul ! Oh non, aucune chance. La tribu entière n’aurait pu venir à bout de ce dragon. Non, il s’y rendait pour négocier un accord. Il supplia la bête de laisser son peuple en paix en échange de quoi, il lui ramènerait l’objet de ses désirs. Forgule lança tout d’abord un regard goguenard en direction de la lune, et Arhm pâlit en pensant à ce que pourrait lui demander le dragon. Mais le dragon fronça son gros front écailleux et de sa voix profonde confia à notre ancêtre qu’il était las de manger tout le temps les mêmes mets. Alors si Arhm trouvait à renouveler cet ordinaire, il accepterait son marché.

— Ça alors ! S’étonna l’enfant.

— Oui, notre héros était loin de s’attendre à une quête de cet acabit. Et même si, de prime abord, celle-ci pouvait paraître simple, un dragon n’est jamais facile à contenter. Et la ronde de Arhm commença. Chaque jour, notre vaillant chasseur apportait un nouveau plat au dragon. Poissons, moutons ! Trop petits. Fruits ! Immangeables. Légumes ! Quelle horreur !

— Des vaches !

— Allons, Helm : les vaches sont rares à notre époque alors imagine en ces temps reculés.

— Donc Arhm n’a rien trouvé ?

— Rien. Et le dragon, peu satisfait de ses nouvelles expériences culinaires, tournait à nouveau dans le ciel à la recherche de la première proie venue. Alors, Arhm se rendit voir Finëa, l’une des Sagettes du village.

— Pour lui demander conseil ? Interrogea Helm.

— Eh bien… A vrai dire, on dit que ce n’était pas la motivation première du chasseur. Finëa était une très jolie jeune fille, tu vois ? S’embarrassa Herald.

— Non… Quel est le rapport ? Questionna l’enfant déconcerté.

— Aucun, tu as raison. Concéda son père.

— Quoiqu’il en soit, reprit-il, Finëa finit en effet par donner un conseil à Arhm. Et le lendemain, le chasseur se rendit au nid de Forgule pour lui proposer un dernier mets. Je te donne un indice : ça vit dans l’eau et c’est répugnant.

— Du poisson-chat ?

— Beaucoup trop petit, mon garçon. Non, du Kraken !

— Les monstres marins avec des tentacules ? Mais ça n’existe pas !

— Oh que si, ça existe. Mais tu as raison, pas chez nous. Toutefois, le dragon n’en savait rien, il ne vivait dans nos contrées que depuis une centaine d’années et s’intéressait peu aux légendes locales. Arhm lui assura que rien n’était plus savoureux qu’un Kraken fraîchement pêché. Mais arguant que la prise d’une bête de cette taille ne pouvait être réalisée par un humain, il proposa au dragon de le pêcher lui-même. L’idée de se mesurer à une créature de sa taille plut au dragon, il accepta. Et, Arhm lui confectionna une canne à pêche.

— Elle devait être énorme !

— En effet, la canne n’était autre que le tronc du plus haut sapin de la forêt ; le fil de pêche, une corde conçue spécialement ; et l’hameçon, une hallebarde recourbée.

— Et l’appât ?

Son père fit la grimace.

— On dit que le dragon embrocha un Troll pour appât.

— Beurk.

— Comme tu dis.

— Mais puisqu’il n’y avait pas de Kraken, pourquoi ce mensonge papa ?

Herald tira une nouvelle bouffée de sa pipe, pour une pause convenue.

— L’unique but du chasseur était d’attirer le dragon dans un endroit fort dangereux. Dangereux, même pour ce grand prédateur : le lac Maudit. En territoire Harpie. Nulle créature dotée d’un peu d’intelligence n’osait s’y rendre. Car chacun connaissait le sort réservé aux contrevenants : ils étaient métamorphosés en statues de pierres. Nos ancêtres pensaient que les eaux du lac étaient maudites. Des superstitions extravagantes couraient sur l’endroit : on disait notamment que les victimes pétrifiées se réveillaient parfois, tels des golems traquant les importuns. Pourtant, la réalité était autre : le lac était le territoire d’une seule créature bien vivante, quoiqu’assez exotique. Avec toutes les histoires que je t’ai déjà contées, tu dois bien en avoir une petite idée, non ?

Helm remonta une main de sous les draps pour se gratter la tête, puis ses yeux s’élargirent lorsque la mémoire lui revint :

— Un basilic !

— Exactement ! Un basilic qui, d’un seul regard, transforme toutes créatures vivantes en statues de pierres.

— Et Arhm s’en doutait, proposa l’enfant.

— Pas le moins du monde, sourit son père. Pour lui, le lac était bel et bien maudit et c'est pourquoi il chercha bien vite une excuse pour laisser le dragon s’y rendre seul à la pêche au Dahu en l'occurrence au Kraken. Forgule n’y vit pas d’inconvénient, et personne ne revit jamais le dragon.

Helm repoussa les draps et se releva légèrement en fronçant les sourcils.

— Quoi ? C’est tout ? Mais que se passa-t-il ? Le basilic a changé Forgule en pierre ?

Herald savoura l’instant. Car, en effet, la plupart des gens concluaient ainsi le conte de Forgule. Cependant, lui tenait de ses aïeux, une autre version du dénouement. Alors, il prit un air faussement détaché, se leva et s’approcha de la porte de la chambre d’où il pouvait ensuite apercevoir à travers une fenêtre le pic de Forgule.

— Nombre de personnes le pensent en effet. Le mont rocheux « La queue de Forgule » serait une relique de la pétrification du dragon et à son pied…

— Le lac, prononça doucement l’enfant à contrecœur.

— Tu sembles déçu, pourquoi donc ?

— C’est que… Helm se tut pour chercher en lui la réponse.

— Je sais ce que tu vas me dire, continua son père. Un basilic est loin de posséder l’envergure d’un dragon. Alors que Forgule, capable de détruire le faîte d’une montagne, de terrifier des Trolls, d’un souffle de déclencher des tempêtes, soit terrassé par une bête qui ne fait même pas un dixième de sa taille, cela peu paraître étrange. Pourtant, si tu y réfléchis, une piqûre d’insecte suffit parfois à tuer un humain ?

L’enfant hocha la tête en faisant la moue. Son père reprit :

— Oui, je vois bien que tu n’es pas convaincu…

Et, s’approchant, il s’exclama :

— Et tu as raison mon garçon !

S’asseyant cette fois sur le lit, il se pencha sur l’enfant et le débit de ses paroles s’accéléra, relançant soudain l’histoire et la curiosité de ce dernier.

— Car, vois-tu, les dragons sont très résistants à la magie, et ce n’est certainement pas le regard d’un basilic, d’ailleurs un lointain cousin reptilien des dragons, qui aurait pu arrêter le terrible Forgule. Alors quoi ? Comment se fait-il que Forgule, s’il n’a pas succombé au basilic, ait disparu après s’être rendu au lac Maudit ?

L’enfant attendait la suite, impatient.

— Pas d’idée, conclut son père. Bien ! Tu y réfléchis et je te raconterai la suite un autre jour.

— Papa ! S’écria Helm outré, s’accrochant au bras de son père qui déjà se relevait.

Herald reprit son fauteuil comme un barde qui revient sur scène sous les rappels du public.

— Désolé de te faire languir fiston, gloussa-t-il. La rencontre entre le basilic et le dragon eut bien lieu au lac Maudit. Forgule pêchait tranquillement, remontant de temps à autre le Troll accroché à son hameçon pour voir s’il bougeait encore, lorsqu’il vit sortir d’une grotte non loin, une créature de la taille d’une vache avec un long coup et une petite tête sournoise : le basilic. Ce dernier darda aussitôt ses yeux de braise sur l’importun venant violer son territoire, mais Forgule ne fut pas pétrifié. Tout juste ressentit-il l’attaque magique comme un frisson irritant ses écailles. Il n’en lâcha pas moins sa canne à pêche, afin de rappeler au nouveau venu, qui, était en haut de la pyramide des prédateurs. Et d’un coup de mâchoires, il arracha un membre au basilic. Une fois n’est pas coutume, ce dernier en fut pétrifié non pas tant de douleur, mais qu’on ait pu lui résister. Le dragon mâchonna machinalement son prélèvement. C’est alors qu’il fit une découverte. Une découverte qui explique qu’on ne revit plus jamais Forgule sur nos terres ensuite. Te souviens-tu de la promesse de Forgule à Arhm ?

— Oui : il n’importunerait plus les humains si Arhm lui trouvait… un mets nouveau ! Le Basilic !

— Tout juste ! Lorsque Forgule goûta la chair de celui-ci, qu’il se gorgea de son sang, il fut subjugué et dévora l’animal en entier. Et s’il tint sa promesse, ce ne fut pas tant par loyauté que par gourmandise. Forgule s’envola vers d’autres horizons à la recherche de cette nouvelle friandise. Depuis, personne n’a revu de dragon sur le mont Carré.

— Est-il mort ?

— De vieillesse ? Sûrement pas : les dragons comptent leur âge en siècles quand nous utilisons des cycles. D’un combat ? J’en doute fort : il faudrait une armée de millier d’hommes pour le terrasser.

— Mais alors, il pourrait revenir, s’exclama l’enfant.

— A vrai dire, au cours des ères qui se sont écoulées, des témoins jurent avoir vu un dragon, un sourire énigmatique aux lèvres, pêcher au lac de Forgule. Mais trop souvent ceux-ci avaient l’haleine chargée d’alcool de Genépi. Toutefois, une chose est certaine : personne n’a jamais retrouvé la canne à pêche.

Le silence, propice à la réflexion, revint dans la chambre. Herald tira les dernières bouffées de sa pipe, aussi pensif que son fils. Il se revoyait enfant au mont Forgule, arpentant les contours du lac à la recherche d’une empreinte, d’un signe, d’un bout de bois, de corde, de fer qui auraient pu être partie de la fameuse canne à pêche. Son regard bienveillant revint sur son fils. Demain, à n’en pas douter, l’enfant demanderait à aller pêcher au lac de Forgule. Le sommeil emporta le père et le fils au fil de leur imagination.

Dehors, une brise légère perturba un instant le silence anormalement pesant. Pas un chasseur ne veillait pour pressentir le subtil changement d’atmosphère, la ronde des griffons avait déjà cessé, les mammifères nocturnes et autres chouettes ne donnaient pas signe de vie, et une peur presque palpable se répandait peu à peu dans les montagnes. Soudain une ombre gigantesque dissimula la lune, couvrant un moment les feulements du vent par ses battements d’ailes.

La nourriture doit rester variée, car tout un chacun finit par se lasser, même de ses péchés mignons.