dimanche 22 novembre 2009

De nuit.

Point de vue d’Alice.

Un pressentiment me tire d’un sommeil déjà agité. Je tends l’oreille aux aguets : pas un bruit ne vient troubler les lieux et pour autant je ne suis pas rassurée. Dans la pièce je perçois de la méchanceté suintant jusqu'à moi. Quelqu’un ou quelque chose s’est immiscé chez moi. Mes poils se hérissent et je me blottis un peu plus dans la chaleur faussement protectrice de mon lit douillet. La présence hostile se rapproche, pas un son ne l’atteste, mais l’air est trop tendu pour se tromper. J’ai grand-peur. Paralysée je tente de pénétrer les ténèbres impuissantes alors … je les vois ! Deux yeux jaunes fendus d’ébène, luisant de leur promesse de mort. Cette fois je ne maîtrise plus ma frayeur, je crie, je hurle, ma voisine entendra peut-être.

*

Point de vue d’Anne.

Je me réveille en sursaut. Dieu ! Ce n’était qu’un rêve, quel réalisme, mes draps en sont trempés de sueur. Autour tout est calme, comme au début de mon rêve d’ailleurs. Cette pensée m’inquiète, je repense au miniscule, au ridicule verrou de l’entrée. Sans parler de l’interstice sous la porte où pourrait passer un chat. Ces vieilles baraques ! Moi qui suis toute seule dans cet appartement, je n’ai même pas encore de téléphone fixe. Où ai-je bien pu mettre mon mobile ? Je me lève et pose un pied fébrile sur la moquette, j’ai la chair de poule sous ma chemise de nuit. Il fait si noir et paradoxalement une étrange réticence m’empêche d’allumer comme si je craignais qu’un éclair de lumière ne me révèle tous ce qui pourrait bien se tapir dans l’ombre. Lentement, je colle l’oreille à la porte de ma chambre et j’écoute. Rien. Si. Un petit son aigu venant du fond du couloir : la cuisine. Cette fois j’ai la frousse. Je cherche un ustensile susceptible de me servir d’arme, et me rabats finalement sur ma lampe de chevet. Grotesque. Le souffle court je tourne la poignée de la porte et le pêne claque à réveiller un mort : autant pour la discrétion. Je saute dans le couloir étreignant ma lampe comme un couteau, mais seul le parquet grince de désapprobation. Le couinement s’est arrêté, mais un bruit métallique résonne dans la cuisine. La décharge d’adrénaline qui a accompagné ma courageuse entreprise m’enhardit follement, je cours, et me rue sur la porte de la cuisine, que j’ouvre à toute volée. Mon arme de fortune brandit au dessus de la tête, un pied en avant, j’hurle :

- Hiiiiiiiiiiiih !

« La lumière idiote ! », me fustige. Le palpitant battant à tout rompre, je panique, il y a quelqu’un dans la pièce. Je cherche l’interrupteur qui m’échappe. Il devrait pourtant être là ! Où là ? Aller quoi ! La lumière jaillit et je virevolte sur moi-même à en perdre l’équilibre. Personne. Si, à terre ! Les yeux jaunes. Un bond en arrière me projette contre l’huisserie de la porte, la douleur fuse dans mon crâne, mais c’est le soulagement qui me fait lâcher la lampe de chevet.

- George ! Pourriture !

Le boa de mon voisin me regarde de ses petits yeux cruels, la queue d’Alice, ma souris, dépassant encore de sa gueule. Celle-ci disparaît en éclair, comme si le serpent venait de se souvenir de cette preuve de son méfait.

- C’est ça ni vu ni connu.

Je m’étrangle de rage.

- Et la cage à moitié défoncée, tu vas la planquer où, salopard de meurtrier ! Il va m’entendre le voisin.

*

Point de vue de George.

Mon maître « deux pattes » me ramène manu militari de chez la voisine et me flanque dans ma tanière. Qu’est-ce qui lui prend de me traiter ainsi. Peu importe, quelle nuit ! Comment avais-je pu oublier les délices de la traque ? Glisser sur le sol lisse, en silence. Dans l’obscurité totale, se laisser guider par les odeurs et la douce chaleur du sang qui palpite. Puis sentir la proie frémir et inonder l’air de sa terreur. Enfin l’attaque et le festin moment incomparable aux plaisirs suaves.

On aura beau dire, ça améliore l’ordinaire : suffit les cadavres réchauffés aux micro-ondes, le rongeur frais quel délice. Je garde en mémoire le chemin des jouissances et faute de souris la prochaine fois, je raffole de l’odeur de la voisine. Serait-ce comestible un « deux pattes » ?

6 commentaires:

  1. Franchement j'adooore, j'ai déjà eu des serpents et cette histoire m'a bien fait sourire. Très bien écrit, pas trop long, un bon suspens, une bonne chute... Parfait quoi. Ah si, je pense qu'il manque un mot à cette phrase non ? : "Le palpitant battant à tout rompre..."
    Dis je peux mettre ton blog en lien sur le mien ?
    A+

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  2. Merci beaucoup Pomme,
    j'en conclu que la souris réchauffé au micro onde tu connais ;)
    bien sur pour le lien (j ai fait de meme d'autant que ton blog est tres joli)
    Sinon il ne manque pas de mot "le palpitant" est mis ici pour "coeur" c'est familier certes ;)

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  3. Merci pour le lien :-)
    Pour le palpitant, j'y ai pensé après coup, ce n'est pas un synonyme très usité c'est pour ça que j'ai bloqué dessus.
    Sinon moi c'était pas le micro-onde, je les mettais à décongeler dans de l'eau très chaude ;-)

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  4. Pareil pour moi, j'avais bien aimé ton texte Azarian pour l'AT Noir des Songes. Dommage qu'il soit si court ! Mais les différents points de vue étaient vraiment sympa.
    Bonne fêtes à toi.

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  5. Merci Auddrel,
    C'est vrai la taille était un peu juste pour l'AT Noir. Développer était sans doute possible mais difficile. Aurais-je pécher par fainéantise un peu sans doute ;) et aussi l'impression d'avoir "bouclé" l'histoire. Quoiqu'il en soit le texte retenu pour l'AT noir était très sympa.
    Excellente fêtes à toi aussi

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  6. Bonne chute et drôle sans être grotesque, j'ai vraiment bien aimé :) C'est court mais ça rend la chose plus facile à lire et le résultat est sans doute meilleur que si tu avais trainé dans des descriptions ou autres. Bref, j'aime bien, j'aime bien :)

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